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  • Photo du rédacteurJulien Marquis

Peut-on devenir riche avec un château ?

(Première partie)


Château de Rosemont (Nièvre) Photo CDC



Quelle question compliquée… Même si certains vous répondraient par l’affirmative ou la négative sans argumenter, nous allons essayer d’envisage cette épineuse question.


Dans mon dernier article « Les châteaux et les châtelains ont-ils fait leur révolution » je suis revenu à la source de ce qui fait le château, et forcément, le châtelain. J’avais essayé de mettre en avant les projets et la nécessité de trouver un usage aux monuments afin d’en assurer la survie.


Mais peut-on vraiment faire fortune avec un château.


Brossons un panel assez large des projets que l’on voit fleurir un peu partout. Mais interrogeons-nous également sur une typologie de monuments (Quel monument pour quel projet)


Cela me rappelle un livre d’André Comte-Sponville : « Le Capitalisme est-il moral ? » Question palpitante, argumentaire intéressant pour finir par dire que la question n’avait pas de sens…. Le capitalisme n’a pas à être moral…. (Je caricature un peu mais en gros c’était la conclusion) Va-t-on conclure la même chose ?


En tant que consultant, cette question est forcément au centre de mes recherches et de mon travail. J’ai l’habitude de dire que si le patrimoine rendait riche, il n’y aurait plus de problème pour le sauver. C’est bien la difficulté, le pétrole de la France comme aiment à le dire les grands ambassadeurs du secteur… Mais encore faut-il réussir à le raffiner et à le vendre !


Mais des projets fonctionnent. Je vous propose de voir dans une première partie, tous ces projets qui nous semblent pertinents, et dans une deuxième partie à paraître la semaine prochaine (teaser de dingue), les projets plus atypiques, les projets immersifs et surtout en forme de conclusion l’adéquation nécessaire, selon moi, pour qu’un projet fonctionne.


I. Les projets touristiques en tête de gondole


Depuis quasiment la construction du château de Versailles, faire voir son château fonctionne assez bien sur le commun des mortels. Il faudra attendre le début du XXème siècle pour voir les premiers châteaux français s’ouvrir au public.


En 1895, nos amis anglais voient naître le National Trust. Le NT, pour les intimes, donne une réponse économique à une réalité sociétale : l’exode urbain et la révolution industrielle. Les changements sociétaux ont pour résultat de voir les châteaux délaissés à la limite de l’effondrement. Dans ce contexte, les anglais trouvent une réponse économique… En créant le NT, ils répondent avec force à une problématique naissante : il faut une vision différente du patrimoine dans une société qui change. Les anglais sont les premiers à ouvrir leurs monuments au public, à y installer boutiques et salons de thé pour les sauver. 130 ans après, certains se rêvent en NT à la française… Pourtant, depuis lors, les visiteurs sont bien au centre de l’économie du patrimoine.


1. Les visiteurs comme modèle économique


Beaucoup de propriétaires de châteaux ont ouvert leur monument à la visite. L’offre est multiple, de la traditionnelle visite guidée aux moyens technologiques les plus fous pour attirer et varier les clientèles.


- La visite guidée / visite libre : le système le plus simple mais le meilleur ? Vous avez devant vous un fervent défenseur de la médiation traditionnelle, de la rencontre du monument avec le visiteur, et j’ai toujours eu à cœur dans mon métier de dire que la force d’un château c’est d’abord son histoire ! Donc je suis forcément assez fan des châteaux qui se visitent, soit avec des outils de médiation, soit avec des guides ou médiateurs expérimentés, voire avec les propriétaires. Dans cette optique, il existe de nombreux châteaux qui font de la médiation leur cœur de visite.


Quelques exemples :


Le château de Commarque : forcément, au-delà d’être le plus beau château du Périgord (#commentperdredesclients) c’est aussi peut-être un monument que l’on ne peut comprendre qu’avec un guide (où comme depuis l’année dernière avec un audioguide et la douce voix de Guillaume Gallienne) – même si la famille de Commarque diversifie énormément l’offre sur place, elle ne passe pas à côté des fondamentaux et œuvre pour que le château soit d’abord compris par ses visiteurs. C’est une démarche qui peut être complexe : en effet la clientèle touristique a tendance à en demander plus… mais la visite reste un fondamental.


A quelques kilomètres de là, je conseille le village de la Madeleine, où les visites guidées sont un incroyable résumé de 10 000 ans d’histoire. Où les guides, et notamment Louis et Marie Hamelin, font découvrir le site d'une façon assez extraordinaire, et arrivent à créer un lien avec le visiteur. C'est assez bluffant. Là, aussi, la compréhension du lieu, de son histoire, et de son atmosphère sont pour moi le bouquet gagnant d’une médiation réussie.


Il serait difficile de parler de "visiteurs" sans parler du chantier médiéval de Guédelon, où c’est très clairement LA réussite de ces 30 dernières années. 300 000 visiteurs par an, des visiteurs qui restent plus de 6h en moyenne sur place, un chiffre d’affaires incroyable sur une idée simple (mais encore fallait-il le faire) : Comment se construisait un château au XIIIème siècle ? Et comment en faire un modèle économique. Au programme : déambulation autour du château en construction, rencontre avec les artisans sur place. La force du modèle c'est aussi les petits "à côté" : boutique, self, aire de pique-nique, tout est là pour que le visiteur reste. Avec un ticket moyen autour de 13 €, forcément aussi le visiteur veut en avoir pour son argent et très franchement, il n'y a pas de soucis la-dessus, c'est une vraie réussite.


Dans ces 3 exemples, même si on peut parler de réussite, il faut admettre que l’économie des lieux permet de faire vivre, de fonctionner, mais pas de considérer une richesse autre que celle de sauver un monument, ou dans le cas de Guédelon, de faire renaître et de viabiliser des techniques et des savoir-faire.


Les 3 projets embauchent, vivent, entretiennent les lieux, ont une influence accrue sur l’économie locale, et ça c’est plutôt un bilan intéressant que l’on peut tirer sur l’ensemble des sites à forte attractivité touristique, ils enrichissent peut-être plus les autres qu’eux-mêmes ;)


- Les nouvelles médiations pour un nouveau public : au-delà de la simple visite guidée, beaucoup de lieux se sont essayés à d’autres forme de visites : On passera vite fait sur les visites immersives ou thématique que je range dans la catégorie « visites guidées » mais attardons-nous sur les nouveaux moyens de médiation. Je vais utiliser un mot qui pendant longtemps a fait saigner mes oreilles : Escape Game ou un autre Murder Party. Pourtant, force est de constater que ces deux nouveaux moyens de médiation sont à la mode (pour combien temps ? C’est bien le problème des modes) mais ça marche, et la fréquentation des lieux qui font ce genre d’activités a véritablement décollé. Le principe est simple: scénariser une aventure dans le château ou son parc, permettre aux visiteurs de découvrir le lieu lors d’une sorte de chasse aux trésors, et s’immerger dans une réalité fantastico-historique.


Quelques exemples :


Beaucoup de lieux pratiquent l’escape-game, grands, petits, chacun fait ça à sa sauce, mais il y a quelques spécialistes quand même. La famille Guyot, où Lancelot, Edouard et Alice sont quasiment devenus les spécialistes du jeu ! Jusqu’à convaincre leurs parents généralement traditionalistes de la médiation (ce n’est pas une critique loin de là) de faire d’un château (celui de Marzac en Dordogne), un escape-game géant. Autant les escapes-game mixés avec d’autres types d’activités sont tout à fait viable selon moi, autant une thématique unique, je m’interroge. Le château de Marzac ayant ouvert ses portes en 2020, il est un peu tôt et en ses temps incertains, de connaître la viabilité d’un tel projet (et loin de moi l’idée de donner des bons ou des mauvais points, je ne suis pas encore inspecteur du guide Michelin). En tout cas, sacré challenge pour la famille Guyot, surtout avec la proximité de Marzac de monuments qui jouent déjà le jeu de l'Escape-Game, comme Commarque par exemple. Quoiqu’il en soit, que ce soit à La Ferté Saint-Aubin (le château de Lancelot) ou Vaux (le château de Guyot) difficile d’être en proximité avec eux tant ils sont attractifs sur le sujet.


Il existe aussi de grosses machines qui se lancent dans l’Escape-game, le Louvre ou encore le CMN (Centre des monuments nationaux) est également devenu un spécialiste de la question : nombreux sites qu’il a en gestion ont tenté l’expérience.


Concrètement (et même si je n’aime pas ça !) ça marche ! Et de nombreux projets sont en train de se lancer sur le sujet, hâte de voir le projet du château-fort de Sedan porté par Alfran, où un bastion complet du château va être dédié à un escape-game. Hâte de voir les développements de ces activités dans le temps. Même si je m’interroge sur l’utilité en terme de médiation. Finalement un château doit-il être ludique plutôt que pédagogique ? Ou tout simplement, un château doit-il être économique, dans le sens de créer de l’économie ?


- Les grands évènements : finalement plutôt que de se dire, on va ouvrir tout le temps, embaucher des équipes saisonnières ou permanentes, essayons d’organiser une ou deux grandes manifestations par an, plus facile de mobiliser les équipes et un gros chiffre d’affaires si on arrive à mobiliser des visiteurs ! En effet plutôt que de mettre 3 ou 4 mois à faire 30 000 visiteurs, pourquoi ne pas les faire en 1 week-end ! Eureka ! Enfin presque. Si c’est effectivement une bonne idée et que nombreux sont ceux à s’y essayer (avec des activités annexes pour la plupart) certains font quand même de gros paris sur le sujet. Dans mes souvenirs de jeunesse, il y avait un château, dont on parlait uniquement pour sa principale manifestation, c’était le château de Courson (Essone) et ses Journées des Plantes, je ne sais pas si la volonté préalable était d’avoir un projet économique, mais le lieu est aujourd’hui attaché à cette manifestation.


Mais ce type d’évènementiel unique est-il viable? Probablement qu’il doit rentrer dans une programmation plus complète ! Mais il a quand même un intérêt.


Autre exemple, Julien Ostini au château de Linières (Mayenne) qui organise sa saison autour d’un opéra en plein air, en 2021, ce sera d’ailleurs « les Contes d’Hoffmann » de Jacques Offenbach, je ne peux que conseiller !



Château de Linières - Opéra en plein air


Aussi bien dans le cas de Courson, que de Linières, je pense que la réussite du projet tient à la passion ou au métier du propriétaire !


Élément intéressant que l’on devra développer plus tard : « un projet peut-il être déconnecté de son château et de son châtelain ?


2. Quand le touriste se transforme en hôte.


Selon l’adage que plus un touriste reste longtemps, plus il dépense, les hôtels, chambres d’hôtes devrait-ils être les plus intéressants économiquement ?


Difficile de faire d’un cas particulier une généralité. Les « relais châteaux » ou autre label d’hôtellerie dans des lieux de patrimoine sont nombreux. Certains marchent, d’autres non, difficile de sortir des exemples de notre chapeau (château ?) tant ils sont légion. Mais voici quelques catégories intéressantes.


- Les hôtels, chambres d’hôtes, les hébergements


En ce moment beaucoup de porteurs de projet sont dans une optique "slow tourisme", loin des cohortes de touristes armés de leurs sandalettes et de leurs sacs « banane ». Un retour à une temporalité différente, où le touriste vient à la rencontre du propriétaire pour de l’échange et du partage. Du coup, de nombreux projets autour de chambres d’hôtes ont vus et voient encore le jour.


Je me souviens la première fois que j’ai dormi dans un château (légalement j’entends, ou en tout cas dans un vrai lit) c’était lors d’un séjour en Val de Loire, au château de Razay (c’était il y à 12 ans – Dieu merci, je me suis rattrapé depuis ne dormant plus que dans des châteaux lors de mes déplacements ;)) – J’avais été étonné qu’un château puisse être adapté à une problématique hôtelière. J’avoue que c’est plus en matière de normes que ça coince qu’en matière de fonctionnalité. Mais au demeurant plutôt un bon souvenir de Razay ! Un autre exemple me vient à l’esprit (pardonnez-moi de vous raconter mes vacances !), le château de La Groirie, là ce n’est pas le château en lui-même qui a été transformé mais les dépendances qui sont devenus un magnifique Hôtel de Charme à quelques mètres du Mans, très belle réussite de transformation, garder le charme d’un château MH du XVIIIème siècle, habité par ses propriétaires et y créer une activité économique. Ne nous le cachons pas, ce genre de projet demande de solides ressources et une mise de fonds importante, mais la réalité de ce projet, c’est de voir un château qui vit ! Je vous conseille d’aller rencontrer Gaëtane Durand-Lépine, la propriétaire du château. Pour ma part, je rage de ne pas habiter moins loin, c’est un lieu d’une sérénité absolue…


Un autre exemple me vient à l’esprit, et il aurait été difficile de passer à côté, c’est celui du château de Ternay dans la Vienne, le château se visite, mais sa plus grosse activité ce sont les chambres d’hôtes et les gites. Depuis le développement de cette activité au fur et mesure des années, la famille de Ternay, arrive à garder son château à flot et à l’entretenir de façon tout à fait satisfaisante. D’ailleurs la nouvelle génération se prépare à reprendre le flambeau, et c’est le signe de la réussite des propriétaires que d’avoir su transmettre leur bien.



Château de Ternay - Photo CDC


3. Les offres à destination des professionnels : les séminaires


C'est un peu le rêve de nombreux châtelains, accueillir des séminaires, en effet, la clientèle pro a le mérite de ne pas toujours compter à la dépense et de prendre des offres clé en main. C'est donc une clientèle convoitée, et dans ce domaine, c'est l'entreprise Châteauform qui est leader sur le marché. Pourtant quelques jeunes acteurs du secteur commencent à fonctionner en B to B, je pense notamment à Domaines & évènements qui s'affiche comme une tête de réseau, là où effectivement l'offre est morcelée et plutôt en proximité avec les grandes agglomérations.


Très franchement c'est une activité qui n'est pas à portée de tout le monde (ou beaucoup moins que ce que l'on croit), dans la pratique le cahier des charges est complexe pour pouvoir accueillir des entreprises, surtout quand c'est du top management, et avec une contrainte d'une chambre par individu, d'un axe de communication à proximité, d'une demande forte d'activité sur place, etc.... C'est un full time job pour les organisateurs, et c'est pour cela que les leader du marché sont des réseaux.


4. Le mariage : Les wedding castle


Avec le séminaire, c'est l'autre activité qui fait rêver les châtelains, peut-être plus accessible, c'est

pourtant aussi un secteur hyper concurrentiel. Les mariages dans le fin fond de l'Allier, c'est assez rare, et on est donc sur une zone plutôt en proximité des villes, avec une offre hôtelière importante à proximité.


Mais des projets réussissent à sortir leur épingle du jeu, notamment grâce à des investissements dédiés. J'ai visité il y a peu le château de Vallery dans l'Yonne. C'est clairement spécialisé dans le mariage très haut de gamme, avec une offre complète (le site n'est pas ouvert à la visite). C'est un business modèle intéressant mais qui fonctionne aussi parce que : 1. Le château est prestigieux : forteresse de Condé - architecte Lescot, etc... 2. La proximité de Paris - 1h. 3. Les aménagements sont très haut de gamme.


Accueillir des mariages, c'est un peu comme dans le Sens de la Fête: les lieux ne sont pas toujours adaptés, accès est difficile, pas d'espace traiteur, ect... Il faut donc généralement prévoir de gros investissements, voire même rajouter des bâtiments. L'intérêt croissant pour les structures "éphémères" et d'ailleurs assez significatif de la question.


Pour le marché des mariages, l'offre est tellement concurrentielle qu'il est difficile de faire la liste de plateforme ou autres prestataires travaillant sur le sujet. Donc pour un projet lambda sans offre atypique, il ne faut pas imaginer en faire autre chose qu'un revenu d'appoint.


Château de Vallery - Photo CDC


Il y aurait probablement beaucoup d'autres choses à dire sur les mariages et les séminaires, mais très clairement, ceux chez qui ça fonctionne n'ont pas besoin d'un consultant, et pour les autres, il y a généralement une réalité géographique qui fait que même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de faire venir des mariages, et il faut mieux se tourner vers une autre activité plus en capacité à attirer des visiteurs, clients, hôtes ou mécènes ;)


En conclusion de cette première partie, nous avons brossé un panel assez général de ce que l’on fait de façon traditionnelle dans de nombreux châteaux dans tout le territoire, avec des spécificités, des réussites, mais surtout des projets qui se créent grâce à la volonté et la passion de leurs propriétaires (notamment pour les point 1 et 2)

. Il n’y pas de solution miracle mais il y a des ficelles à tirer pour comprendre la réussite d’un projet.


Dans une deuxième partie, nous allons voir des projets plus atypiques et tous ces projets en lien avec l’histoire vivante. J’essayerai aussi de vous proposer l’équation qui peut permettre la réussite d’un projet.


Dans tous les cas, la richesse d’un châtelain ne se mesure pas pour l’instant en argent sonnant et trébuchant, mais permet de montrer des modèles qui font vivre le propriétaire et qui entretiennent les lieux, et c’est déjà là l’essentiel.



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